■Le bouddha vivant Lian-sheng Sheng-yen Lu
■Book166 - Journal des voyages spirituels
~Un autre genre de manifestation du prodige~
■Traduit du chinois par Sandrine Fang
■Copyright © Sheng-yen Lu ©2012, Éditions Darong
Lors d'un voyage spirituel —
J'entendis la prière d'une disciple : « Om Goulou Lianshen Siddhi Rom. Maître vénérable, bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu, j'ai fait le homa① à quarante-neuf reprises, je prie Kurukulla de répandre sa bénédiction sur mon amour, et je vous prie d'exaucer mon souhait de me marier avec mon petit ami. »
La prière de cette disciple était extrêmement sincère : « J'implore la bonté du maître vénérable ! Je supplie Kurukulla ! »
Dans le bouddhisme tantrique, l'efficacité du homa, de l'oblation du feu, est extrêmement puissante, son pouvoir est très fort. C'est pourquoi je pouvais entendre l'appel de cette disciple dans toute son acuité.
Pour elle, j'allais sonder le coeur de son petit ami.
Je n'aurais jamais imaginé que ce petit ami fût aussi mon disciple. On peut dire qu'une disciple était amoureuse d'un disciple. Elle était si éprise qu'elle vivait un véritable supplice.
Elle se rendait souvent chez lui et se tenait devant la porte pour l'attendre à son retour du travail ; pour le rencontrer, le saluer et lui adresser quelques paroles…
Mais il évitait un peu la rencontre avec elle.
Ce qui était encore surprenant, c'est que ce disciple pratiquait également le homa, l'oblation du feu ; la déité principale de sa pratique était Râgarâja. Lui aussi priait avec dévotion : « Om Goulou Lianshen Siddhi Rom. Maître vénérable, bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu, j'ai pratiqué quarante-neuf fois l'oblation du feu en prenant Râgarâja pour déité principale. Je vous prie de me bénir pour que je puisse me marier avec ma petite amie. »
Voici le noeud du problème : la disciple était tombée amoureuse du disciple, mais ce dernier était épris d'une autre fille ; la disciple n'était pas sa bien-aimée.
Un jour, le disciple reconduisit en Mercedes sa petite amie chez elle ; ils étaient très intimes, la main dans la main, et ils s'embrassèrent.
À la vue de cette scène, la disciple fut frappée de stupeur. Elle demeura muette sous l'effet de la surprise !
Elle avait envie de pleurer, mais elle était dans l'incapacité de verser une seule larme. Elle vit en silence son petit ami entrer dans la maison en tenant la jeune femme par la taille. Un claquement se fit entendre, et la porte se referma.
La disciple ne se découragea pas. De retour chez elle, elle reprit la pratique du homa, l'oblation du feu, et elle récita des prières à haute voix : « Om Goulou Lianshen Siddhi Rom. Maître vénérable, avez-vous entendu ? Om. Kurukulla, si ce n'est pas lui, je ne me marierai pas ; si ce n'est pas moi, il ne se mariera pas. Avez-vous entendu ? »
Le feu du homa continuait de brûler ardemment.
Le disciple aimait passionnément sa petite amie, on n'aurait jamais pensé qu'il demeurât insensible à cette disciple.
Lui-même pratiquait de façon assidue et diligente la méthode de Râgarâja ; il avait bien mémorisé le mantra, il le récitait des milliers et des milliers de fois.
Au cours de ce voyage spirituel, Kurukulla, Râgarâja et moi, nous délibérâmes sur le fait remarquable que ces deux disciples avaient pratiqué le homa dans le but de se procurer l'amour.
Nous examinâmes quatre grands thèmes :
1. Quelle serait la rétribution de leurs actes amoureux selon la loi de causalité ?
2. Laquelle des suites à cette situation pourrait être considérée comme juste et égale ?
3. Pourraient-ils encore, sous le pouvoir du dharma, maintenir l'accroissement de leur foi ?
4. Pourrait-on s'occuper en même temps de l'harmonie de ces trois individus sans faire de mal à aucun d'eux ?
Le résultat de la délibération fut le suivant :
—Kurukulla hocha la tête ;
—Râgarâja hocha la tête ;
—Je hochai la tête.
En vérité, l'amour est quelque chose de compliqué, qui s'embrouille sans cesse et qui est difficile à résoudre. Si la soif de l'amour est très forte, on aura certainement des ennuis et on éprouvera une souffrance extrême. Si le délire de possession de la personne que l'on aime est ardent, son rapport de causalité ne prendra jamais fin, de telle sorte que l'on sera content si on obtient une concession et que l'on sera mécontent si on rencontre une opposition.
L'issue de la délibération fut de « laisser aller le cours naturel des choses ».
Toutefois, j'avais encore de la pitié pour cette disciple qui pratiquait le homa, l'oblation du feu. Je savais que ses prières ne seraient pas exaucées, même si elle pratiquait le homa cent fois et beaucoup plus, Kurukulla ne pourrait pas l'aider, et j'étais également incapable de l'assister.
Je lui dis discrètement à l'oreille :
—Disciple ! Vous me suppliez, mais à qui dois-je m'adresser alors ?
Elle entendit ma voix, mais ne me voyait pas ; elle regarda tout autour d'elle et trouva la chose étrange !
En dépit de mon intervention, elle ne comprenait toujours pas ce que j'avais voulu dire.
Il ne me restait plus qu'à m'en aller pour poursuivre mon voyage spirituel.
En ce bas monde, toutes les affections et les amours sont engendrés par des causes fondamentales ou accessoires. Certaines sont profondément conditionnées, d'autres sont déterminées de façon superficielle. Il se peut que certains facteurs conditionnés engendrent des conséquences et que certains autres ne produisent pas d'effet. Il en va de même pour les prières avec oblation du feu. Bien que cet acte procure une bénédiction par le pouvoir du dharma, les karma déterminés et les affinités fixées par le destin restent pourtant difficiles à modifier.
Je dis :
Si les conditions sont parfaitement réunies,
Les facteurs conditionnés s'assembleront tout naturellement.
Si les conditions sont incomplètes,
Les demandes forcées n'apporteront aucun bénéfice.
Je ne dis pas que le dharma tantrique soit inefficace ; ce que je veux expliquer, c'est que les karma déterminés par le destin seront difficiles à modifier tant que persistent la croyance à la substantialité du moi, l'attachement au moi, les fausses visions de Satkâyadrsti, les sollicitations nées du désir et du dharma conditionné.
- à suivre -
①Faire des offrandes en les brûlant.