Le secret du cœur
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ Le Franchissement de l’océan de vie et de mort
« Le plus grand événement de la vie »
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2022, Éditions Darong
Ce texte est extrait de mon 123e livre intitulé L’Étoile filante et l’igname rouge, publié au mois d’août 2002.
J’ai consulté les dossiers officiels de l’école du zen, et j’ai remarqué une histoire que je raconte ainsi :
Quand Dou Rong-jian était premier conseiller, un jour, il parlait du zen avec le maître de contemplation Wu Tchou dans un monastère. À ce moment, à l’extérieur, un corbeau poussa des croassements sur un arbre : « Croa-croa ! »
Le maître de contemplation Wu Tchou demanda au premier conseiller Dou :
— Avez-vous entendu les croassements du corbeau ?
Il répondit :
— Mais oui !
Après avoir croassé, le corbeau s’envola. Wu Tchou demanda à nouveau :
— En ce moment, entendez-vous encore des croassements ?
Dou répondit :
— Le corbeau est parti en volant, je n’entends plus ses croassements.
Wu Tchou dit pourtant :
— Je peux encore entendre le corbeau croasser !
Dou demanda alors curieusement :
— Le corbeau est déjà parti, il n’y a plus de croassements ; pourquoi pouvez-vous encore les entendre ?
Il répondit :
— C’est le secret du cœur.
L’interprétation du maître de contemplation Wu Tchou est la suivante :
Entendre ou ne pas entendre n’a aucun rapport avec la nature de l’audition. À l’origine, elle ne fait pas son apparition, aurait-elle une extinction ? Si le bruit apparaît, son audition est alors générée de façon naturelle ; s’il n’y a plus de bruit, son audition s’éteint toute seule. Et cette nature de l’audition ne suit ni l’apparition ni l’extinction du son. Si on comprend cette nature de l’audition, on se soustraira du tourment venant du bruit qui est comme de la poussière. Il faut savoir que le bruit est impermanent et que l’audition n’a pas d’apparition ni d’extinction. En conséquence, le corbeau a un mouvement de va-et-vient, mais j’entends la nature de l’audition qui n’a ni apparition ni extinction.
Je donne ici une brève explication :
Le corbeau a un mouvement de va-et-vient, le cœur n’en a pas ;
Il ne faut pas être distrait par quelque chose d’extérieur tel le bruit,
Il faut que le cœur ne soit pas changé par l’extérieur ;
On entre ainsi dans le recueillement méditatif.
Autrement dit, le cœur de l’homme d’accomplissement est immuable, car il est capable d’arrêter et de supprimer tous les ennuis et ne peut éprouver aucune distraction dans une quelconque situation de discrimination. Les environnements ne peuvent pas avoir une influence sur son cœur.
Donc, l’homme d’accomplissement tourne les circonstances par son cœur, et celui-ci ne
change pas selon la vicissitude des situations extérieures.
Après avoir lu l’interprétation du maître de contemplation Wu Tchou, j’ai eu conscience du cœur dont l’entité est l’espace infini. Dans cette immense placidité, le cœur est susceptible d’édifier un paradis, il est aussi en mesure de construire un enfer, il peut tout fabriquer. Cependant, le vide total est quelque chose de tout à fait incommensurable.
J’ai approfondi la question de « la tranquillité du cœur » :
En ce bas monde, il existe des événements heureux, mais aussi des nouvelles affli-geantes, c’est-à-dire des choses agréables et inquiétantes.
Les pratiquants de la perfection devraient aller expérimenter ces choses-là. Chaque expérience est, on peut le dire, une épreuve et va laisser toujours des traces dans le cœur.
Chaque expérience génère des effets différents, elle produit également beaucoup d’ennuis. Il y a là-dedans des tristesses, des douleurs, des souffrances, des contradictions, des conflits.
Si on peut pénétrer dans le tréfonds du cœur, on comprendra certainement que les ennuis appartiennent soit au temps présent, soit au passé. Lorsqu’un ennui est devenu du passé, il est donc évité.
À cet endroit, on corrobore ceci :
L’ennui va et vient,
Mais le cœur n’a pas de va-et-vient.
En tant que pratiquant de la perfection, il faut approfondir le « moi » et le « non-moi » qui se trouvent dans le tréfonds du cœur, et connaître les prétendus extérieur et intérieur.
Si quelqu’un atteint l’état d’accomplissement, son cœur sera libre, il sera le maître de son cœur, il ne sera pas souillé par les ennuis venant de l’extérieur, et son cœur restera transcendant, car cet homme d’accomplissement comprend que le cœur indépendant se soustrait à toutes les sortes d’épreuves et d’effets. Puisqu’il est capable de mettre en action son esprit, toutes les perturbations ne peuvent donc exister. Le cœur est en mesure de changer tout environnement, même si celui-ci ne peut être changé, le cœur reste toujours lumineux, immuable, complètement éveillé, parfaitement tranquille et inactif.
J’ai eu une perception aiguisée :
Quand le corbeau croassait, les rumeurs, diffamations, blessures, extorsions, défis, rejets, tous sont infligés contre un quelconque pratiquant de la perfection. Si son « moi » existe, il su-bira certainement des effets, et il aura des ennuis.
Quand le corbeau s’est envolé, tout devient le passé ; les ennuis aussi ont disparu.
En tant que pratiquant de la perfection, toutefois, si son « moi » n’existe pas, tous ses attachements seront enlevés, son cœur sera complètement éveillé, parfaitement libre et indépendant. Étant donné que le cœur est sans bornes et lumineux, et que le cœur est le grand achèvement, on pourra ainsi acquérir la grande sagesse du Tathâgata et entrer aisément dans l’état de grande tranquillité et d’inaction.
À l’extérieur, les ennuis sont nombreux.
Dans l’intérieur, la lumière est infinie.